En Quête De Casino

Casino 45462 par George Ford Morris, Coll M. Trouillard 

Casino 45462 dans une publicité de Whitewater Falls Stock Farm, Coll JL Dugast

Il y a quelques semaines, en feuilletant les documents historiques percherons que j'ai pu photographier en France et plus encore aux États-Unis, au cours des trois dernières décennies, je me suis arrêté sur deux documents représentant un étalon percheron du nom de Casino. Il convient de préciser qu'il s'agit de Casino FR 45462 (US 27830), tant il y a de chevaux percherons nommés Casino dans le stud-book percheron français.

Pourquoi cet intérêt particulier pour ces deux documents (ci-dessus) datant du tout début des années 1900 ? Parce que, fait relativement peu fréquent, ces représentations ont été réalisées par deux éminents illustrateurs américains de l'époque, Lou Burk et George Ford Morris, et que cela signifie que Casino 45462 a probablement eu un parcours "riche" sur le sol américain. Ce que confirme le second document, celui réalisé par George Ford Morris, qui nous apprend, grâce au commentaire figurant au bas de l'illustration, que ce Casino a obtenu un 1er prix, en 1904, au concours de Saint-Louis, dans le Missouri. 

Ces deux portraits de Casino m'ont conduit à entamer une recherche qui n'est pas terminée et que je pense poursuivre pendant quelques temps encore.

Casino 45462 ! Point de départ.

En matière d'histoire de la race percheronne, depuis une bonne dizaine d'années, j'ai souvent fait appel aux lumières de Jean-Marie Rousset, de Teyran, dans l'Hérault. Jean-Marie est à la fois éleveur, meneur d'attelages percherons et aussi grand connaisseur de l'histoire de la race percheronne.

Jean-Marie Rousset à l'A. G. de la SHPF, en 2018

- Si je te dis Casino 45462, est-ce que cela te dit quelque chose ?

-Casino, Casino ... [silence] ... Bernadette Lizet !

- Quoi Bernadette Lizet ?

- Bernadette Lizet parle d'un Casino ... [silence à nouveau] ...Dans La bête noire, je crois.

Il me tardait d'être au lendemain matin. Je savais que Casino allait occuper les pensées  de Jean-Marie et le tenir éveillé, une bonne partie de la nuit.

Gagné ! Un message de Jean-Marie m'attendait au réveil avec, en pièce jointe, le passage relatif à Casino dans La bête noire de Bernadette Lizet. "En 1904, à l'exposition de Saint-Louis, M. Mac Laughlhin [Mac Laughlin] le grand marchand de chevaux américains, obtint le  Championnat des chevaux de trait avec Casino. Or Casino est né à la ferme de Mignard, commune de Marcy [Narcy] (Nièvre), chez M. Bossuet. Il fut vendu laiton l'année de sa naissance à la foire de Champlémy pour la somme de 465 F à un éleveur nivernais, qui lui fit faire la monte chez lui et le vendit ensuite à un éleveur du Perche, M. Tachan [Tacheau], à qui M. Mac Laughlhin l'acheta (Girard 1917 : 243)."

Il y avait bien longtemps que je n'avais pas eu de contact avec Bernadette Lizet, en dehors de quelques mails à l'occasion de la réédition de son ouvrage Le cheval dans la vie quotidienne et la sortie d'un autre ouvrage, Le cheval en robe de mariée, en 2024 (Éditions CNRS).

Bernadette Lizet lors d'un colloque, en 2015

Ethnologue, directrice de recherches au CNRS, Bernadette Lizet a publié de nombreux ouvrages et articles sur le monde du cheval. C'est à l'occasion de quelques colloques consacrés aux chevaux de trait que j'ai eu le plaisir de la rencontrer.

Casino me donnait la possibilité de renouer le contact. Bernadette s'est montrée surprise et ravie de cet intérêt pour ce Casino Nivernais.

Casino dans le stud-book américain, Coll JM Rousset

Comme je m'y attendais, suite à mon coup de fil, Jean-Marie Rousset est devenu "accro" au Casino, le Casino 45462. Dans les jours qui ont suivi, il m'a transmis des extraits des stud-books français et américain, concernant Casino. Le stud-book français (Tome 7 Étalons 1906) n'indique que la date de naissance de Casino, 1896, ainsi que les noms  de son père, Theudis 40871, appartenant à Auguste Tacheau [père] de la Ferté-Bernard, dans la Sarthe et de sa mère, Jubine 17715, née chez M. Hubert, de Cormes, près de La Ferté-Bernard.

Theudis, père de Casino, Coll JL Dugast

Côté américain, Casino 27830 (45462) a été enregistré dans deux stud-books différents. Après une décennie de crise économique (1890-1900) aux États-Unis, la Société percheronne américaine est mal en point et c'est la confusion en matière de stud-book.  Les chevaux percherons peuvent être enregistrés dans pas moins de cinq livres généalogiques différents. (Voir Le siècle d'or du cheval percheron, Jean-Léo Dugast, page 483)

Ces deux documents confirment l'ascendance de Casino à savoir Theudis et Jubine mais l'un précise que l'éleveur français de ce cheval était M. Tacheau alors que le second document mentionne M. Hubert (propriétaire de la jument Jubine).

Au delà des erreurs d'écriture, assez fréquentes dans ce type de documents, on peut raisonnablement se demander comment un percheron né à Narcy dans la Nièvre peut être enregistré dans différents stud-books comme ayant pour père Theudis, un étalon de l'élevage Tacheau, à Saint-Martin-des-Monts, près de La Ferté-Bernard, dans la Sarthe et pour mère Jubine, une jument de l'élevage Hubert, à Cormes, près de La Ferté-Bernard.

Registre d'enregistrement au stud-book français, Archives SHPF

Pour répondre aux interrogations sur les origines de ce Casino 45462, il y avait peut-être une solution ; les fiches d'enregistrement au stud-book percheron, remplies par les naisseurs de poulains percherons. Des fiches précieusement conservées et regroupées de manière chronologique en près de 200 volumes par la Société Hippique Percheronne de France, dans ses archives. Ce sont ces fiches qui ont servi à établir, année après année, les volumes du stud-book percheron publiés par la SHPF, depuis 1884.

Mais, surprise! En consultant les fiches d'enregistrement des naissances percheronnes dans les dernières années du 19ème siècle, on constate que les fiches allant de 45401 à 45599, soit près de 200 fiches, ne figurent pas dans le registre de ces années-là.

Mais, seconde surprise! En place et lieu de ces presque 200 fiches manquantes, un petit carré de papier de couleur jaune, avec quelques mots écrits à la main : "à partir de 45400 ce sont des chevaux aux noms de M.M. Raffestin et Tacheau et ils sont portés au gros répertoire". 

Ces fiches figureraient donc dans le "gros répertoire". Mais qu'est-ce que le gros répertoire et où peut-il bien se dissimuler?  Peut-être a-t-il choisi de vivre à l'abri des regards, caché au fond d'un grenier poussiéreux. 

Joseph Raffestin, Archives Raffestin

Auguste Tacheau père et fils, Coll JL Dugast

À cette époque, les noms Raffestin et Tacheau étaient bien connu du milieu percheron français et étranger. Joseph Raffestin, puis son fils Paul, étaient établis comme marchands de chevaux à la ferme de La Chaise, à Bonneval, en Eure-et-Loir. La maison Raffestin disposait aussi d'un établissement de vente de chevaux au 85 rue Denfert-Rochereau, à Paris. 

Quant à Auguste Tacheau père et fils, qui se sont succédé à la ferme de La Pelois, à Saint-Martin-des-Monts, dans la Sarthe, ils faisaient partie des plus importants étalonniers percherons en activité dans la vallée de l'Huisne qui est considérée comme le cœur du berceau d'origine de la race équine originaire du Perche.

La Chaise à Bonneval et La Pelois à Saint-Martin-des-Monts étaient des passages obligés pour la plupart des acheteurs étrangers de passage dans Le perche.

Le Nogentais, Bibliothèque municipale, Nogent-le-Rotrou

Si le parcours de Casino 45462 entre 1896, date de sa naissance, et 1901, date de son départ pour les États-Unis, suscite quelques interrogations, une recherche dans les catalogues des concours percherons et dans la presse locale de l'époque apporte la confirmation que ce Casino 45462 a bien été présenté au concours de Nogent-le-Rotrou, en juin 1901.

Le catalogue de ce concours mentionne Theudis et Jubine comme père et mère de Casino et Auguste Tacheau père, 1 rue Marceau à La Ferté-Bernard, dans la Sarthe est indiqué comme étant le propriétaire de ce cheval. Quant au classement, Casino décroche un 4ème prix en catégorie "chevaux de 4 ans et au-dessus".

Parmi les incertitudes concernant le parcours de Casino 45462, il faut noter encore des divergences en ce qui concerne l'élevage américain importateur de Casino, en 1901. Quand les stud-books américains citent "Singmaster & Sons, Keota, Iowa"  (Samuel, le père et Charles, Thomas, William, ses fils), Le catalogue du concours de Saint Louis, en  1904, mentionne l'élevage "McLaughlin Bros", (Les frères James, John et William). Mais le nombre de textes faisant référence à l'élevage Singmaster comme importateur de Casino plaide en faveur des éleveurs de Keota, en Iowa.

Casino, Coll JL Dugast

Devenu propriété de l'élevage Whitewater Falls Stock Farm, à Towanda, dans le Kansas, l'étalon Casino 45462 s'est particulièrement illustré lors du concours de l'exposition universelle de 1904, à Saint Louis, dans le Missouri, avec un premier prix obtenu en catégorie "4 ans et plus".

Dans les deux années qui avaient précédé, Casino avait déjà décroché pas moins de 25 prix dans différents concours.

Chichi FR 54591 élevage Aveline, à Verrières, Orne, Coll JL Dugast

Fronton, élevage Aveline à Verrières, Coll Aveline

Mais Casino n'a pas été le seul percheron à s'illustrer lors de ce concours de 1904. Chichi et Fronton ont eux aussi été récompensé à cette occasion.

Le Nogentais, Archives Bibliothèque municipale, Nogent-le-Rotrou

Charles Aveline, Coll Aveline

Venu représenter la Société hippique percheronne de France à ce concours de Saint-Louis, Charles Aveline s'est vu, de manière inattendue, investi d'une fonction bien délicate. En effet, celui qui allait devenir président de SHPF quelques mois plus tard, a accepté d'endosser la fonction de juge de ce concours pour remplacer le Pr John A. Craig souffrant.

Élevage percheron Whitewater Falls Stock Farm, Coll JL Dugast

Importé aux États-Unis par l'élevage Singmaster, l'étalon Casino Fr 45462 (US 27830) est devenu en 1902 , l'étalon phare de la ferme Whitewater Falls, à Towanda, au Kansas. Au début des années 1900, Whitewater Falls était la plus importante ferme percheronne des États-Unis. C'est en 1884 que James William Robison débute l'élevage de chevaux percherons sur des terres qu'il avait achetées en 1874 et qui étaient situées le long de la rivière Whitewater.

James William Robison, Coll JL Dugast

James William Robison est né en Écosse. En raison d'une faute d'orthographe sur un acte de propriété, en 1935, le nom Robertson est devenu Robison. Par la suite, toute la famille est restée fidèle au nom Robison

Située dans une région de collines calcaires, la ferme "Whitewater Falls Stock Farm", dirigée par James William Robison, puis par son fils James Charles Robison était essentiellement tournée vers l'élevage, le commerce de chevaux percherons et la culture du blé, culture qu'il défendait ardemment, ce qui avait valu  à James William le surnom de "Wheat Robison" (Blé Robison).

Grange-écurie de la ferme Whitewater Falls, Coll JL Dugast

En 1909, J. W. Robison avait fait construire une grange écurie pour la somme de 9000 dollars. L'inauguration a donné lieu à une grande fête. Deux mille invités ont été transportés par trains spéciaux en provenance des villes voisines pour participer au plus grand bal de grange jamais organisé au Kansas.

Casino 45462, photographié sur la ferme Whitewater Falls, Coll JM Rousset

Ferme percheronne qui a vu le jour en 1884, Whitewater Falls Stock Farm a pris de l'ampleur après la crise économique et financière des années 1890. En ce qui concerne l'élevage percheron, cinq étalons se sont succédé à la tête de la ferme. Norval US 1369 (FR 794), un demi-frère de Brilliant US 1271 (FR 755); Social US 9311 (FR 18468); Lascine; Fantone US 27830 (FR 43683); Casino US 27830 (FR45462).

Casino a été l'étalon le plus primé lors des concours de race avec 115 prix obtenu dans différents états : Illinois, Missouri, Virginie, Indiana, Kansas, Colorado, Arizona, Oklahoma et Toronto au Canada.

Étalon Damascus de la ferme Whitewater Falls, en 1935, Coll JM Rousset

Véhicule de transport pour percherons, Coll JM Rousset