Quelques lignes dans le journal Le Perche du 8 mai 2019 nous apprennent le décès, le 2 mai 2019, à l'âge de 83 ans, de Mr Pierre Leveau, de Courcerault dans l'Orne; une commune dont il a été maire pendant de longues années, jusqu'en 2014.
Nous avions rencontré Pierre Leveau en 2011. Il nous avait parlé de Beau Calypse, le percheron oublié.
Voici, en intégralité, le texte que j'avais rédigé à propos de Beau Calypse pour le Hors Série n°5 de Sabots consacré au cheval percheron :
À
l’arrivée de Silver Shadows Sheik au haras du Pin en 1993, tout le monde
saluait le premier étalon percheron à revenir sur la terre de ses ancêtres. La
mémoire percheronne avait totalement occulté Beau Calypse, envoyé en France en
1947 par les Américains au titre de l’aide à la reconstruction. Rendons justice
à Beau Calypse.
En octobre 1947, un titre dans le « Percheron News », le
journal de l’Association percheronne américaine : « Stallions Go to
Europe » (Des étalons rejoignent l’Europe). L’article d’une page raconte
l’histoire de deux étalons percherons, Beau Calypse et General Kosciusko. Le
premier a été envoyé en France dans l’Orne, et le second est sur le point de
rejoindre l’Université de Varsovie en Pologne. L’article débute en expliquant
le contexte dans lequel ces exportations vers l’Europe ont été
envisagées : « Alors que l’Europe doit faire face à une crise
économique et à des problèmes de réorganisation après la guerre, l’Amérique
joue un rôle déterminant dans les affaires européennes en accomplissant des efforts incessants pour
aider les pays en difficulté à se remettre sur pied. Deux organisations
américaines, l’association Heifer Project Committee qui envoie du bétail aux
agriculteurs en difficulté de l’autre côté de l’Atlantique et l’association
Quaker Relief Service engagée dans différents projets d’aide et de secours,
effectuent un travail d’une inestimable valeur en Europe ». Dans la
suite de l’article, on apprend que ce sont ces deux organisations qui ont pris
en charge l’acheminement des chevaux vers l’Europe. En octobre 1947, Beau
Calypse est déjà arrivé chez Paul Leveau, éleveur de chevaux à Courcerault dans
l’Orne. Quant à General Kosciusko, il n’a pas encore quitté le territoire
américain, mais on lui a déjà fait rencontrer six étudiants polonais en
agriculture qui font leurs études aux États-Unis.
Pierre Leveau, actuel maire de
Courcerault et fils de Paul, est visiblement ravi que l’on s’intéresse à Beau
Calypse. Il se souvient parfaitement bien de ce cheval.
Seulement âgé de douze ans à
l’époque, il a encore en mémoire l’arrivée de l’étalon percheron américain. « Nous
sommes allés en voiture avec mon père et mon frère aîné au Havre pour le
récupérer à l’arrivée du cargo ». Ce voyage a marqué le jeune Pierre. « Ce
n’était pas si fréquent pour la Renault Prima 4 Sport de faire un voyage aussi
long ». Dans le port, la première vision de Beau Calypse a été
celle d’une tête de cheval dépassant d’une caisse en bois qui flottait dans les
airs. Quand les grutiers ont eu fini leur travail, Paul Leveau et ses deux fils
se sont approchés. « Beau Calypse était bien enserré dans une caisse en
bois », se souvient Pierre Leveau. « Il avait deux sangles
sous lui, une à l’avant et une à l’arrière, qui lui permettaient de se reposer.
Il avait juste la tête qui dépassait à travers une ouverture, de manière à
atteindre l’auge pour manger. Quand on l’a sorti de sa caisse, il était en
bonne forme, il a juste fallu le faire marcher pour qu’il se dégourdisse les
jambes ». Pour rejoindre la ferme de Bernuche à Courcerault où Paul
Leveau exerce l’activité d’étalonnier, Beau Calypse voyage en train accompagné
par Claude, le frère aîné de Pierre. « Ils ont passé une journée et une
nuit dans le train ». Pierre et son père rentrent avec la Prima 4
Sport.
À ce stade, l’histoire mérite
quelques explications. Comment Beau Calypse est-il arrivé chez Paul Leveau,
étalonnier percheron à Courcerault ? Pierre Leveau nous livre la
partie française de cette histoire.
Les années d’après-guerre ont vu
les premiers résidents secondaires arriver dans le Perche. « Ils
venaient parce qu’ils étaient attirés par la pêche à la truite dans
l’Huisne ». Parmi ces premiers « Parisiens », il y avait un
certain monsieur Héchard qui avait acheté une résidence secondaire sur la
commune de Courcerault. « Il était professeur d’anglais dans une
université parisienne, la Sorbonne je crois ». Juste après la guerre,
ce monsieur Héchard a été amené à faire des conférences aux États-Unis sur la
difficile reconstruction en Europe. À la fin d’une de ces conférences, un
agriculteur de l’Indiana –très ému par ce qu’il venait d’entendre- est venu
voir monsieur Héchard et lui a dit qu’il voulait donner un cheval aux origines
françaises, un percheron, à la France. De retour dans le Perche, monsieur
Héchard prend contact avec Paul Leveau, qu’il connaît, et lui demande s’il ne
serait pas intéressé. Paul Leveau accepte, en précisant que l’argent gagné avec
les saillies serait remis à des associations d’aide aux victimes de guerre.
Le généreux donateur américain avait
pour nom A. C. Cooper, de Greencastle dans l’Indiana. C’est l’association
Quaker Relief Service qui s’est chargée du transport. Arrivé dans le Perche à la fin de 1946 ou au
début de 1947, Beau Calypse a été mis à contribution pour la saison de monte
1947. Paul Leveau, avec cinq ou six étalons percherons, était un petit
étalonnier du Perche en comparaison avec les écuries Aveline et Chapelle qui se
partageaient la monte dans ce secteur. Alors que Paul Leveau a déjà commencé à
faire travailler Beau Calypse sur les communes de Courcerault et celles
environnantes, il adresse une lettre à A. C. Cooper pour lui donner des
nouvelles de son cheval : « … Votre étalon est une merveille… Cela
fait deux semaines qu’il a commencé à faire la monte chez des éleveurs de la
région. Il est vigoureux, magnifique et en pleine forme. En tant qu’éleveur de
percherons, je suis ravi d’en avoir un qui vient des Etats-Unis pour voir
comment ils se reproduisent dans notre pays. Ici, en plein cœur du Perche, les
percherons sont un peu plus petits, avec beaucoup d’os et une forte stature, et
cela grâce à la qualité de notre terre…».
Beau Calypse, né en 1939, était le
fils de Koncarcalyps II, un cheval qui a eu un demi-frère –Koncarhope- qui
figure dans l’ascendance de Hannah Hill Kemo Sabe, le dernier percheron
américain arrivé sur le sol français en 2010.
Que sait-on de la carrière de Beau
Calypse en France ? Assez peu de choses. Pierre Leveau pense que l’étalon
venu de l’Indiana n’a pas connu un grand succès de reproducteur. « Le
fait que ce soit un percheron d’origine américaine n’a sans doute pas toujours
été bien perçu par les éleveurs de la région, et puis il était noir. Le gris
pommelé était davantage apprécié par les éleveurs ».
Une recherche dans les stud-books
de l’époque semble confirmer ces dires. Les années 1948, 1949 et 1950 ne
comportent aucun produit dont le père serait Beau Calypse. « L’étalon a
dû saillir des juments de petits agriculteurs qui n’inscrivaient pas leurs
poulains à la SHPF et qui voulaient seulement obtenir un cheval pour travailler
sur leur ferme », pense Pierre Leveau.
« Le percheron de la
reconstruction » n’a pas marqué l’histoire de la race. Il aurait cependant
été dommage que Beau Calypse reste à jamais un percheron oublié.
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