mercredi 3 janvier 2024

Clément Miteau, Du Perche À L' Amérique

 

Clément Miteau (1858-1923), Archives Marjorie Koehler

-Il y a environ 100 ans, le 8 décembre 1923 mourrait, dans l'Iowa, aux États-Unis, ... Clément Miteau.
-Clément qui ?
-Miteau.

Clément Miteau fait partie de ces personnes - pour beaucoup originaires du Perche - qui ont vu leur vie prendre une direction inattendue du fait de l'important commerce du cheval percheron, entre Perche et États-Unis, de 1870 à 1914.
Clément Bazile Miteau, fils d' Adolphe Julien Miteau et de Pauline Clémentine Branchard, est né le 11 juin 1858, à La Loge, à Roullée, dans le nord de la Sarthe. 
En 1881, la famille Miteau, les parents, Adolphe Julien, Clémentine Pauline et leurs deux enfants, Adolphe François et Clément Bazile habitent Les Genettes, une ferme-manoir sur la commune d'Essai, dans l'Orne.

La ferme des Genettes, à Essai, dans l'Orne, Coll. Jean-Léo Dugast

Entre le début des années 1880 et 1923, le parcours de vie de Clément, fait de nombreuses traversées de l'Atlantique et de très longs séjours aux États-Unis, n'est pas facile à établir avec précision et comporte des zones d'ombre. L'essentiel des informations mises à jour proviennent de journaux locaux américains et surtout de documents officiels de l'État de l'Iowa, comme par exemple l'acte officiel de naturalisation américaine accordée à Clément Miteau le 22 août 1904.
Dès le premier concours percheron, organisé en 1884, à Nogent-le-Rotrou, par la SHPF naissante, le nom de Miteau apparaît dans la liste des propriétaires de juments engagées. En effet, Adolphe Miteau présente Mouvette 4611, dans la catégorie des 2 ans. Il s'agit sans doute d'Adolphe le père et non d'Adolphe le fils, âgé de 27 ans, le frère ainé de Clément. Deux ans plus tard, en 1886, lors du deuxième concours organisé par la SHPF, à Nogent-le-Rotrou, la famille Miteau d'Essai présente Biche 2621 en 2 ans, Anémone 6354 en 3 ans et Brillante 6469 en non suitée 4 ans et plus. La carrière "percheronne" de Clément Miteau se présente sous de bons auspices.

En cette première moitié des années 1880, les acheteurs américains sont de plus en plus nombreux à parcourir Le Perche à la recherche des étalons et des juments qui vont peupler les grandes plaines du Middle West américain. Les noms de Dunham, Dillon, Singmaster, Ellwood et d'autres y sont déjà bien connus.

James O. Singmaster qui a effectué 56 voyages dans le Perche, Coll. Jean-Marie Rousset 

C'est, semble-t-il, dans cette première moitié des années 1880 que Clément Miteau s'est mis au service de la famille Singmaster de l'Iowa. À partir de 1875 et jusque dans les années 1930, se sont trois générations de Singmaster, William, Charles et James Omer qui ont effectué de nombreuses traversées de l' Atlantique, 56 pour le seul James Omer, dans le but d'acheter des chevaux percherons.
Clément Miteau sera d'abord l'interprète et l'homme de confiance des Singmaster, avant de les rejoindre à Keota, en Iowa. Il semble que le premier séjour de Clément Miteau aux États-Unis ait eu lieu en 1884 et que la traversée de l'Atlantique ait été effectuée sur l'Assyrian Monarch, peut-être pour accompagner des chevaux achetés par les Singmaster.

Il est, en fait, assez difficile de reconstituer la vie de Clément Miteau en Amérique. Les documents officiels, s'ils sont une source précieuse, fournissent parfois des informations contradictoires. Les journaux locaux et agricoles sont eux aussi intéressants pour suivre les déplacements de Clément Miteau entre les États-Unis et le Perche.

Acheteurs américains au concours de Paris, en 1912, Archives Draft Horse Journal 

Le 17 juillet 1912, le journal agricole The Breeder's Gazette publie une photo des acheteurs américains au concours de Paris. Clément Miteau, représentant sans doute les Singmaster, figure au premier rang à droite; puis en allant de droite à gauche, on trouve, John Ashton, journaliste du Breeder's Gazette, James MacLaughlin, M. Akin, G. Potts. Au second rang, de droite à gauche, C. Kirk, W. Dunham, G. Crouch, S. Bell junior, W. Bell. Au troisième rang, de droite à gauche, James Reekie, manager à Londres de la compagnie Atlantic Transport Line et W. Lazenby du  Collège d'agriculture de l'Ohio.

Acheteurs américains au concours de Mamers, en 1913, Archives Draft Horse Journal 

Autre année, 1913 cette fois, et une photo dans ce même journal agricole, le 23 juillet 1913. Une photo des acheteurs américains, au concours de la SHPF, à Mamers , dans la Sarthe.
Clément Miteau figure au premier rang, à droite. On peut voir aussi, au premier rang, J. O. Singmaster et sa femme Edna, avec à leurs pieds leur fils assis sur le sol.
Quelques marchands français de chevaux apparaissent dans ce groupe : Paul Raffestin, au deuxième rang et deuxième à partir de la droite; Maurice Beatrix, an troisième rang, au milieu (trois personnes seulement au troisième rang); présent aussi, un interprète, Paul Chouanard, un Chouanard qui n'élève pas de percherons.

Clément Miteau (chapeau et manteau) en gestionnaire des percherons de la famille Singmaster, Archives Marjorie Koehler

L'examen de documents officiels de l'État de l'Iowa, demandes de passeport par exemple, indique que Clément Miteau a vécu de manière ininterrompue aux États-Unis de 1888 à 1904, avec cependant "des absences temporaires". Sans doute pour des voyages dans le Perche.
Il semble que Clément Miteau ait d'abord séjourné quelques temps à Scipio, dans l'État de New-York, avant de rejoindre le fief des Singmaster où il a assuré la gestion du troupeau de chevaux percherons.
Apparemment, Clément Miteau,  parfaitement intégré à Keota, n'était pas insensible à la situation en France, comme en témoigne cet article publié dans le Chicago Live Stock World du 22 avril 1914. "Clément Miteau, pendant plusieurs années employé des Singmaster vient de partir en France où il a l'intention de vivre de manière permanente. Miteau est un français de naissance, un homme de cheval qui s'est imposé comme interprète pour les importateurs de chevaux qui ne parlent pas français. C'est un très bon juge pour les chevaux et un gaulois typique par son tempérament et toute personne qui fera appel à lui ne s'ennuyera pas en sa présence. M. Miteau a fait des affaires aux États-Unis. Il possède une belle ferme près de Keota, une autre qu'il loue pour un bon prix annuel en France et il possède actions et liquidités qui font de lui un homme riche dans son pays de naissance. Bonne chance à lui dans sa nouvelle vie."

Le souhait de Clément Miteau de vivre d'une manière permanente en France ne résistera pas à la situation tragique qui prévaut en Europe et il sera de retour de manière définitive à Keota, en 1917. Un article du journal local Ottumwa Courier du 14 août 1914 évoque cette situation délicate en France. " Un télégramme reçu à Mapplehurst [ferme principale des Singmaster à Keota] annonce que Mr et Mme J. O. Singmaster et leur fils Charles Omer prendraient le bateau pour New-York samedi prochain, 15 août. Le message précise qu'il n'y aura pas de chevaux importés cette année. Les Singmaster sont restés à Londres deux semaines sans parvenir à trouver un passage sur un bateau. [...] Clément Miteau et Tom Davis qui assistaient Mr Singmaster pour ses importations resteront en Europe jusqu'en automne."

Adolph Gislain présente Lagos FR 102389, l'étalon phare de l'élevage Singmaster, 1918 Archives Marjorie Koehler

Dans un testament rédigé le 8 novembre 1911 et modifié le 18 février 1919, document établi devant les autorités du comté de Keokuk, en Iowa, Clément Miteau lègue sa ferme de Keota à son neveu, Adolph Gislain, lui aussi établi en Iowa. Il lègue sa ferme-manoir des Genettes à Essai, à une nièce, Pauline Gislain.
Clément Miteau est décédé le 8 décembre 1923, en Iowa, à l'âge de 65 ans.

Ces dernières années, nous avons retrouvé quelques personnes ayant pour patronyme Miteau, dans la région d'origine de Clément Miteau. Aucune n'a connaissance de l'existence passée de Clément Miteau. Cela s'explique sans doute par le fait que Clément Miteau n'a jamais été marié et qu'il na pas eu d'enfant pour transmettre l'histoire familiale.

Un grand merci à Jean-Marie Rousset et à Christine Chantepie pour l'aide apportée dans ces longues recherches entre Perche et Amérique.

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