Voltaire, 1er prix catégorie 4 ans et plus, Nogent-le-Rotrou, 1884. D'après Rosa Bonheur, coll. SHPF.
Au sein de la race percheronne, le nom de Voltaire fait immédiatement naître une image, celle du portrait de ce cheval percheron réalisé par l'artiste Rosa Bonheur.
Ce portrait de Voltaire, qui a servi à illustrer le tome 2 du stud-book de la race percheronne et que l'on retrouve encore aujourd'hui sur de nombreux documents et qui sert d'enseigne à la SHPF, a traversé les années et est devenu une des représentations emblématiques de la race percheronne.
Ce que l'on ignore, en revanche, c'est que Voltaire a connu une mort horrible, quelques mois seulement après avoir été importé aux États-Unis.
Fiche d'inscription de Voltaire au 1er volume du stud-book de la SHPF.
Fils de Briolant, nom français d'origine de l'étalon Brilliant 755 (lui aussi peint par Rosa Bonheur), importé aux États-Unis par Mark W. Dunham, Voltaire est né en 1880 chez Charles Rigot à Saint-Bomer en Eure-et-Loir. Il est ensuite devenu la propriété d'Ernest Perriot, de la Chenelière à Nogent-le-Rotrou.
De passage en France en 1883 et plus particulièrement à Nogent-le-Rotrou dans le Perche où, en compagnie de deux autres éleveurs percherons américains, il avait participé à la rédaction des statuts de la future Société hippique percheronne, James H. Sanders, rédacteur en chef du Breeder's Gazette, avait repéré Voltaire, alors âgé de 3 ans, à la Chenelière. "Cela a été une agréable surprise de découvrir que tant d'efforts ont été réalisés par ces éleveurs percherons pour conserver leur race pure [...]. Un jeune cheval, propriété d'Ernest Perriot, en est un bon exemple. Son propriétaire a refusé de donner un prix alors qu'un éleveur américain avait proposé 15.000 fr. pour ce cheval de 3 ans. Le propriétaire aurait répondu à l'éleveur américain : vous pouvez facilement doubler le prix", a raconté James H. Sanders dans une lettre adressée de Paris à son journal et publiée le 2 août 1883.
James H. Sanders a été, avec Mark W. Dunham, l'un des principaux instigateurs de la création des Sociétés percheronnes américaine et française.
Le grand fait d'armes de la brève carrière française de Voltaire restera son 1er prix en catégorie "4 ans et plus" au 1er concours national de la race percheronne organisé en 1884 à Nogent-le-Rotrou par la Société hippique percheronne créée un an auparavant. À cette occasion, Ernest Perriot s'était vu remettre une médaille en or offerte par la Société percheronne américaine.
En juin, quelques semaines après ce concours, Ernest Perriot s'était finalement laissé convaincre par son grand ami américain Mark W. Dunham de laisser partir Voltaire en Amérique "à un prix jamais atteint par aucun cheval de cette race en France", selon le Breeder's Gazette.
Rosa Bonheur, qui avait dessiné le portrait de Voltaire, s'est aussi engagée à dessiner cinq autres chevaux achetés par Mark W. Dunham cette année-là. En plus de celui de Voltaire, Rosa Bonheur a donc réalisé les portraits de Jupiter, Madère, Duroc, César et Pourquoi-Pas. De ces six chevaux, seuls deux ont été peints par Rosa Bonheur, Jupiter et Madère.
Peinture originale de Jupiter réalisée par Rosa Bonheur. Coll. privée, aux États-Unis.
César, importé par Mark W. Dunham, catalogue 1885 d'Oaklawn Farm. Gravure d'après Rosa Bonheur. Coll. Karen & David Armbrust.
C'est à la fin de l'été 1884 que Voltaire et 147 percherons (étalons, juments et poulains) achetés par Mark W. Dunham cette année-là, ont traversé l'Atlantique sur le steamer France pour rejoindre Oaklawn Farm, la ferme modèle de l'éleveur américain à Wayne dans l'Illinois.
"L'acheteur [Mark W. Dunham] était sur la jetée à l'arrivée du steamer, et il a dirigé personnellement le débarquement des chevaux, qui étaient attendus sur le chemin de fer Hudson River par douze wagons spéciaux du type dit Tallman. Ces wagons, longs de 50 pieds [environ 15 mètres], sont aménagés pour transporter le plus commodément possible les chevaux ou le bétail de prix à de longues distances", explique Le Nogentais du 7 septembre 1884.
Wagons spéciaux de l'élevage Oaklawn Farm.
En janvier 1885, Voltaire a participé au concours-exposition de la Nouvelle-Orléans, où il a obtenu un 1er prix. En février, il était de retour sur les terres d'Oaklawn Farm.
Voltaire en couverture du Breeder's Gazette du 11 décembre 1884, coll. The Draft Horse Journal.
Voltaire n'eut alors que quelques jours pour se remettre de son voyage aller-retour à la Nouvelle-Orléans avant de reprendre le train pour Denver dans le Colorado. Il venait en effet d'être vendu à Scribner & Meldrum du Colorado, pour 5000 dollars.
Dans un article du Breeder's Gazette du 2 avril 1885, Geo. W. Rust raconte dans le détail les conditions qui ont conduit à la mort de Voltaire.
"L'impression qui prévaut est que le cheval a été littéralement tué par les mauvais traitements infligés", explique le journaliste en ouverture de son article. "Il avait fait le voyage jusqu'à Denver en train et le lendemain a commencé le voyage à pied pour Fort Collins, une distance de 120 km, et il a accompli 80 km la première journée. Le jour suivant, à Loveland, à environ 20 km de la destination finale, le cheval était dans une telle condition qu'il a fallu utiliser le fouet pour le faire avancer jusqu'à Fort Collins où il est mort en quelques heures, victime d'une pneumonie". Geo. W. Rust poursuit : "Un cheval acclimaté aurait pu supporter cette épreuve, mais c'était beaucoup trop pour un cheval depuis peu dans le pays".
Voltaire, l'un des chevaux emblématiques de la race percheronne est donc décédé suite à de mauvais traitements en mars 1885 à Fort Collins dans les montagnes du Colorado, sept mois après son arrivée sur le territoire américain.
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