vendredi 10 août 2018

Joë "Browning"

Pendant plusieurs décennies, dans la seconde moitié du 19ème siècle, la ferme de la Chénellière, sur la route de Masle à Nogent-le-Rotrou, a été, sous la direction d'Ernest Perriot, un des hauts-lieux de l'élevage du cheval percheron.



















Ernest Perriot, éleveur et étalonnier à la Chénellière. ©A history of percheron horse, Sanders, 1917

De nombreux acheteurs américains, Mark W. Dunham en tête, avaient fait de cette ferme percheronne une étape incontournable lors de leurs achats dans le Perche. 



















Mark W. Dunham, de Wayne en Illinois, visiteur régulier de la ferme de la Chénellière ©Coll. Armbrust


Brilliant, étalon sorti des écuries de la Chénellière, importé par Mark W. Dunham aux Etats-Unis en 1881 ©Coll. Armbrust

En 1919, alors que le conflit mondial de 1914-1918 est terminé et que les troupes américaines se replient vers les ports français pour embarquer à destination de leur pays, de nombreux régiments américains font étape à Nogent-le-Rotrou sur la route du retour.
En mai, la ferme de la Chénellière a reçu une visite "américaine" un peu particulière. Une visite qu'Ernest Perriot n'aurait sans doute guère appréciée s'il avait encore été de ce monde.

Raconté dans le Nogentais du 18 mai 1919, sous le titre "Le citoyen "Browning" fait trop parler de lui", cet épisode nous confirme que si la conquête de l'Amérique s'est faite une Bible dans une main, elle s'est aussi faite ... un revolver dans l'autre.

"Ce n'est pas critiquer injustement nos amis d'Amérique que de dire qu'ils font du revolver un usage immodéré. Il n'est pas de semaine sans que des coups de feu ne soient tirés un peu à la légère, soit entre soldats, soit sur des civils. Ce dernier cas s'est produit dimanche soir dans notre région.
Le motocycliste Joë Mayer, âgé de 28 ans, qui fait le service de liaison entre Le Mans et Nogent, avait quitté cette dernière ville sans vérifier sa provision d'essence. A peine sorti de la ville, sur la route de Masle, la panne se produisit, juste avant d'arriver à la Chénellière.
Justement arrivait M. Renaudin, 31 ans, cultivateur à l'Ecu, dont la carriole était chargée de six personnes. Le soldat lui fit signe d'arrêter en ponctuant son geste de coups de revolver peu rassurants, qui engagèrent les voyageurs à se réfugier dans la cour de la Chénellière, où ils furent suivis par l'américain, qui insista pour être conduit à Nogent. Il sauta du reste dans la voiture, et M. Renaudin y prit place avec son ami M. Garnier plutôt que d'abandonner son attelage. Mais chemin faisant, trouvant ce mode de locomotion trop lent, le motocycliste saisit les guides et le fouet pour activer le cheval, si bien que les deux hommes le descendirent un peu brusquement du véhicule et poussèrent jusqu'à Nogent, poursuivis à coups de Browning dont l'une des balles traversa les deux cuisses de M. Renaudin qui, perdant son sang, fut conduit au Cheval-percheron, où il reçut les soins du Docteur Foucault, puis à son domicile, où il est actuellement soigné. Heureusement le projectile a traversé le gras des chairs sans causer une blessure grave.
Quant au coupable, il fut cueilli presque aussitôt par la police américaine et écroué à Nogent. L'enquête a établi qu'il n'a pas tiré moins d'une vingtaine de balles, tant sur la route que dans le quartier Saint-Lazare, où il continuait ses excentricités après l'exploit que nous venons de raconter".


Arrivée de la diligence ©Scribner's monthly

Américain un jour, américain toujours.

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