lundi 3 septembre 2012

Nouvelles Utilisations, À La Loupe

On les appelle « les nouvelles utilisations ».
Elles suscitent des espoirs dans le monde du cheval de trait. On en parle beaucoup, bien souvent en ayant une vision très parcellaire de la réalité du terrain. Penchons-nous donc sur ces nouvelles utilisations, que ce soit le travail en milieu boisé, en ville, dans la vigne, en maraîchage et petite agriculture.

  • La percheronne Quichenotte du Logis dans les rues de Saint-Savinien-sur-Charente.

Il faut d’abord comprendre que le frémissement que l’on peut percevoir autour de la traction animale intervient dans un milieu qui n’est pratiquement pas structuré, donc difficile à appréhender. Le secteur le plus organisé est celui du cheval territorial (en ville), avec le travail accompli depuis 10 ans par la Commission nationale des chevaux territoriaux basée à Trouville-sur-Mer. Ce qui n’empêche pas que des initiatives voient le jour dans des villes et communes sans que ce Pôle cheval territorial soit pour autant sollicité.

Maraîchage, travail dans la vigne, travail en milieu boisé sont en général le fait d’individuels souvent isolés qui n’ont que peu de liens entre eux. Seul un noyau de débardeurs « historiques » ont formé il y a quelques années un groupement d’intérêt économique qui est loin de représenter la totalité des acteurs de ce secteur.

Les nouvelles utilisations sont toujours présentées comme un marché potentiel pour les chevaux de trait et un réservoir à emplois pour des personnes intéressées par la traction animale. Pas étonnant donc que cette traction animale et son développement focalisent l’attention de beaucoup de gens. Des gens qui, eux aussi, travaillent chacun de son côté sans réelle concertation les uns avec les autres. Haras nationaux, Associations nationales de race, centres formateurs, associations diverses, tout le monde aimerait bien s’accaparer une part du pseudo soufflé pas encore monté de la traction animale.

  • Jérôme Keller et son Mérens préparent le sol pour des cultures maraîchères plein champ.

Les Haras nationaux, obligés de s’inventer un avenir, s’intéressent à ces nouvelles utilisations. Le haras du Pin travaille étroitement avec la Commission des chevaux territoriaux quand d’autres haras travaillent, eux, sur leur secteur, cherchant à s’investir selon leur situation géographique dans le tissu de la traction animale locale. Toutes ces initiatives des uns et des autres se font bien souvent sans concertation, sans chercher à savoir ce que d’autres sont en train de faire. Ici, on engage des stagiaires qui établissent des listings régionaux, on cherche à répertorier, on tente de référencer, d’établir des bases de données ; là, on travaille sur ce que devrait être le cheval de travail ; ailleurs encore, on voudrait mettre en place une structure de vente de chevaux. En l’absence d’entité centrale et chacun cherchant quand même à protéger ses prérogatives, on court le risque de voir ce qui a été fait ici être refait ailleurs par d’autres.

Toutes ces bonnes volontés qui défendent un but louable, celui de contribuer à forger un avenir aux chevaux de trait, pourraient-elles imaginer un minimum de cohérence et de savoir travailler ensemble ? Qui serait en mesure de jouer ce rôle fédérateur ? Pour l’instant, rien ni personne ne paraît être capable de mettre en place un centre cognitif en mesure de répondre aux questionnements, au besoin d’informations et d’aide.

  • Émilien Zimmermann, débardeur professionnel, dans une forêt d'Île-de-France.

Qu’en est-il des débardeurs, laboureurs, meneurs, les acteurs de ce renouveau de la traction animale ? Si chacun de ces secteurs d’activité comporte des professionnels, peu nombreux, relativement bien installés dans leur activité sans pour autant mener des vies de roi, on ne peut qu’être frappé de la difficulté qu’ont tous les nouveaux venus à se faire une place au soleil. L’installation est un problème majeur. Des difficultés engendrées principalement par le fait que les activités liées à la traction animale sont la plupart du temps saisonnières. C’est le cas de la vigne et du maraîchage. Les mois de travail, souvent intenses, sont suivis de périodes sans travail où il faut éventuellement chercher des activités complémentaires.

En ville, le problème est peut-être moins le caractère saisonnier de l’activité que la difficulté à se trouver un job à temps plein. Quelques heures par semaine ne font pas vivre. Quant au débardage, c’est un métier où l’activité est très fluctuante, en fonction des cours du bois, des orientations de la filière bois, des budgets. Bref, faire son trou en forêt pour un débardeur en traction animale relève du parcours du combattant. Un parcours que bien peu arrivent à négocier.

Autre difficulté pour les métiers de la traction animale, c’est qu’en fait ce sont des métiers à deux têtes. D’abord, il faut maîtriser l’aspect cheval. Ensuite, il faut être professionnel dans le domaine concerné, la forêt, la vigne ou le travail de la terre. On peut encore ajouter comme difficulté potentielle, le relationnel et la gestion, éléments déterminants pour « cimenter » les aspects plus techniques de chacune de ces professions.

Un grand nombre de personnes engagées dans la traction animale vivent dans la précarité, avec pour menace permanente l’incertitude non pas du futur mais du lendemain. Avec pour conséquences des difficultés à planifier, à investir (chevaux, camions, matériels). On rencontre de plus en plus souvent des déçus de la traction animale. Des gens qui peuvent avoir suivi des formations (CS Cocher, par exemple), qui ont investi quelques milliers d’euro pour s’équiper, pour finalement jeter l’éponge au bout d’un an ou deux faute d’avoir pu dégager un chiffre d’affaires suffisant. Des formes d’accompagnement, voire d’aide, pourraient-elles être envisagées pour ces personnes qui se lancent dans la traction animale ?

  • Hervé Ménard travaille ses 2,5 ha de vigne à Bourgueil, avec son trait breton Terroir.

Conscientes que les nouvelles utilisations ne remplaceront pas totalement dans l’immédiat un marché de la viande chaotique et sur le déclin, les Associations nationales de race (ANR) ont cependant compris que toutes ces activités liées au développement durable et à la préservation de l’environnement représentaient un secteur à ne pas négliger. On a vu naître, avec plus ou moins de bonheur, au sein de ces ANR des commissions utilisation censées réunir les forces vives de ce secteur. Les choses ne se font pas sans difficultés tant les antagonismes élevage/utilisation sont importants alors que ces deux composantes sont complémentaires et devraient donc aller de l’avant main dans la main.

Quel peut être le rôle des ANR dans ce contexte ? Quand on entend parler, pour certaines, de s’occuper de la vente de chevaux à des utilisateurs, on peut se dire que les choses sont bien mal engagées. La vocation des ANR n’est pas de se transformer en marchands de chevaux. Dans ce domaine, leur rôle devrait se limiter à faciliter de toutes les manières possibles les rapports entre vendeurs et acheteurs éventuels. La vente elle-même restant du domaine privé. En revanche, le rôle capital que doivent jouer les ANR est d’orienter la production de manière à répondre aux besoins supposés du marché. Face à l’émergence des nouvelles utilisations, l’objectif serait donc d’orienter une partie de la production vers le cheval de travail, si l’on juge que ce secteur est porteur d’espoir. Qu’est-ce qu’un cheval de travail capable de répondre aux souhaits des nouveaux utilisateurs ? La race comtoise travaille depuis un certain temps sur ce que devrait être ce cheval de travail. Évitons de refaire ici ce qui est déjà fait ailleurs, et mettons en commun ce savoir.

Autre constat : la plupart des utilisateurs recherchent des chevaux ayant déjà fait l’objet d’un débourrage plus ou moins avancé. Le rôle des ANR dans ce domaine doit être de travailler à la prise de conscience des éleveurs de cette exigence du marché. Avec la mise en avant, à titre d’exemple, d’une manière constructive et apaisée, de ceux –il y en a dans toutes les races- qui sont déjà engagés dans le débourrage et la préparation des chevaux d’utilisation.

  • Travaux de maraîchage à l'aide de traits comtois en début de printemps en Seine-Maritime.

Ne rêvons pas. Les nouvelles utilisations associées aux utilisations de loisir et de sport, ancrées depuis plus longtemps dans le paysage du cheval de trait, ne vont pas dès demain assurer un avenir rayonnant aux races de trait. Toutes ces utilisations, en continuant à se développer, devraient cependant permettre aux chevaux de trait d’envisager une présence active dans divers secteurs de notre société. Ce qui paraît capital, c’est que la plupart de ces nouvelles activités qui ont germé en quelques années correspondent à de réels besoins et ne sont pas le résultat d’effets de mode. Reste que chacun de ceux engagés dans ce retour du cheval de trait en ville ou à la campagne doit y trouver son compte, c'est-à-dire les moyens de s’assurer une vie financièrement décente. Ce qui est loin d'être le cas actuellement.

 

 
 

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour à toutes et à tous,
Merci Jean Léo d’avoir fait un point « de rentrée » sur l’utilisation en traction animale.
Tu as établi le constat, je voudrais en toute modestie apporter quelques éléments :
Tout d’abord il faut dire que « les utilisations utilitaires » en traction animale (que je différencie de l’utilisation de loisirs) ne sont pas ressenties de la même manière par les différents acteurs.

En effet les éleveurs utilisent rarement leurs chevaux pour les travaux agricoles. Je ne les blâment pas et en comprenant pourquoi on ferait un grand pas.
Aujourd’hui un tracteur est une force motrice + une force de levage (3 points et chargeur) + un entrainement rotatif, alors que le cheval n’est qu’une force motrice. Dès lors l’exploitant agricole préfère pour des raisons économiques utiliser un tracteur plutôt qu’un cheval.
Cependant les éleveurs souhaitent vendre les chevaux qu’ils produisent vers l’utilisation !!

Les utilisateurs de tous poils sont pour beaucoup des passionnés sûrs qu’ils ont raison (notamment par des arguments écologique) mais n’arrivent pas à dégager un salaire malgré des temps de travail dépassant largement la normale

Aujourd’hui l’utilisation de la traction animale n’est pas un grand projet, c’est pourquoi il n’est pas structuré, de plus personne ne souhaite le piloter…. Pourtant c’est l’avenir

Au départ ce doit être un projet de société :
- comment produire dans 20 ans des aliments sains et en quantité suffisante ?
- comment exercer cette activité en faisant le moins de tort possible à la nature ?
- comment produire en limitant au maximum l’emploi d’énergie fossile ?
- comment …
Il ne s’agit pas de faire de la politique (d’autres le feront) il s’agit de se projeter dans l’avenir

Décliné en sous projets
Un sous projet répond à une question simple et implémente une ou deux solutions
Parmi tous les sous projets on retrouve
- apport de la traction animale
Il faut aborder ce thème sous l’aspect technique, économique et sociologique afin d’obtenir une solution performante, viable, vivable.

Mettons de coté tous ceux , grands ou petits qui veulent « récolter sans avoir semé », toutes les instances où l’on s’autorise à penser, toutes les ANR qui disent qu’elles vont peut être faire... un jour
Il reste les passionnés, les bonnes volontés
Et vous de quoi avez vous envie, où vous situez-vous ?

Bonne rentrée
Guy FOURMONT

Le Chemin du Halage a dit…

Bonjour Jean Leo,
Nous en Normandie, on peut te rejoindre sur une grande partie de tes commentaires. Nèanmoins, nous sommes un certain nombre depuis plusieurs années à jouer le jeu de l'inscription dans des actions collectives, commission nationale, université du trait, accueil de proffesssionnels, formation de jeunes, développement de l'emploi dans les collectivités... Effectivement nous ne vivons pas comme des Rois... Aujourd'hui LE CHEMIN du HALAGE a trois salariés et les services se développent de manière professionnelle. Le défi majeur auquel nous devons nous atteler c'est de dépasser l'amour du cheval et ou de l'âne pour avoir une action sur l'ensemble des fonctions de l'entreprise: La production de services attelés de qualité, une communication ciblée, une stratégie respectueuse, une gestion viable économiquement et une intervention territotialisée pour plus de proximité ... C'est cet équilibre qui doit nous permettre la pérénité. Voilà notre petite contribution de Pîtres en Normandie. Le Chemin du HALAGE Ferme des ATELIERS du TRAIT.

Je suis toujours heureux de retrouver tes photos, surtout lorsqu'elles ont été prises sur un de nos théâtres d'opération, Il me semble que la légende de cette initiative, de Solveig RASSAT et du CHEMIN du HALAGE, n'ai pas été mentionnée comme pour l'ensemble des photos jointes dans ton article. A bientôt Romuald