mercredi 9 décembre 2015

Comice Agricole À Regmalard

Le comice agricole dont nous allons parler aujourd'hui, c'est celui de l'arrondissement de Mortagne-au-Perche qui s'est déroulé à Regmalard en octobre 1862. Le journal "Le Nogentais" nous dit que "près de 200 étalons et juments de race pure percheronne étaient offerts à l'examen des connaisseurs : c'était bien le Perche aux bons chevaux...".

Médaille en or reçue par l'éleveur de chevaux percherons Michel Fardouet, de la Beuvrière à Verrières, lors du comice de Regmalard en 1862. (Coll. privée).

À l'occasion de ce comice de Regmalard, de nombreux discours ont été prononcés. Émile Pelletier, dans une intervention fort longue, se livre à une apologie du Perche et du cheval percheron dont nous reprenons quelques extraits particulièrement significatifs.
"Je bois aux cultivateurs du Perche ! Aux conservateurs de notre belle et puissante race chevaline ! [...] le cheval percheron se prête admirablement aux besoins de la terre et du cultivateur, du travail et du bénéfice. Actif, docile, sobre, robuste et précoce, jamais, comme les chevaux de Diomède, le cheval percheron ne fut pour le cultivateur une cause de ruine !
Bien loin de là, il remue et féconde le sol, il porte les engrais, il enterre les semences, il engrange les récoltes, parfois il bat le grain ; il prépare en un mot la fortune du cultivateur et, de plus, quand il est en bonnes mains, il double par son prix les bénéfices de son heureux possesseur ! [...]. Pour les formes, il est admirable : c'est le rêve des grands peintres et des grands sculpteurs !
Que veut-on de plus fier, de plus puissant et tout à la fois de mieux modelé ?
Améliorer une si belle et si pure race par le sang anglais, ce n'est point l'améliorer, messieurs, c'est la détériorer ! Aussi, quelle résistance nos éleveurs percherons ont-ils opposée aux belles paroles des partisans du croisement et de cette prétendue amélioration !
En cela, messieurs, les éleveurs du Perche ont bien mérité du pays ; car tout est étroitement lié dans la vie, et s'ils eussent sacrifié leur bon cheval de travail et de rente au beau cheval de pur sang, ce fringant et ruineux favori du luxe, cette enseigne vivante de l'oisiveté en agriculture, adieu tous nos travaux agricoles, adieu tous nos succès et nos profits ! [...]."

Deux médailles en or (Napoléon III sur l'avers) décernées à Michel Fardouet et une médaille en argent (Léopold II, roi des Belges sur l'avers) décernée aussi à Michel Fardouet  pour son étalon percheron Malakoff, 1er Prix à Bruxelles en 1888. (Coll. privée).

Dans toute la première moitié du 19ème siècle et jusqu'au début des années 1880, la race percheronne, dans de très nombreux écrits, est qualifiée de "dégénérée".
Parmi les causes mises en avant, la saignée des plus beaux spécimens de la race qui, dès cette époque -bien avant l'arrivée des Américains- s'en vont peupler les élevages et les haras de toute l'Europe, jusqu'à la Russie.

Face à cette situation, les Haras nationaux (impériaux) et le Haras du Pin en particulier, n'ont de cesse de préconiser l'utilisation du demi-sang anglais ou même du pur-sang pour la reproduction percheronne.

Dans le Nogentais du 21 janvier 1849, un communiqué du Haras du Pin précise que "le public est prévenu que l'administration du Pin enverra dans les premiers jours de février à la station de Nogent plusieurs étalons de demi-sang et un étalon pur-sang". Une mesure visant à l'amélioration de la race percheronne comme le précise la fin du communiqué. "On a lieu de croire que ces chevaux conviendront parfaitement aux éleveurs et seront très propices à améliorer la race percheronne".

"Petite race percheronne". Encyclopédie pratique de l'agriculteur, tome 5, 1877.

Quelques mois plus tard, le 2 décembre 1849, le même Nogentais fait état du concours d'étalons qui s'est tenu à Brou pour décerner les Primes d'entretien.
"La commission a remarqué avec peine que le beau type percheron était devenu extrêmement rare et que tous les étalons qui ont été soumis à son examen portaient le caractère du cheval métis anglo-percheron et normand-percheron. Elle pense qu'il serait nécessaire pour raviver notre excellente race percheronne que l'administration des Haras établît des stations d'étalons pur-sang. Ce serait retremper la race percheronne à son origine [...]. Les belles juments ne manquent pas mais les étalons sont enlevés chez les éleveurs par les étrangers aussitôt qu'ils présentent quelque apparence de l'ancien type percheron".

Domaine de la Beuvrière, élevage percheron de Michel Fardouet à Verrières, Orne.

Dans une étude assez peu connue intitulée "Le cheval percheron" rédigée en 1886 par Ch. Daubian-Delisle sous-préfet de Nogent-le-Rotrou, les polémiques autour de la dégénérescence de la race percheronne sont à nouveau évoquées. Mais le sous-préfet de Nogent souligne avec insistance le rôle des principaux éleveurs du Perche -parmi lesquels Michel Fardouet, devenu en 1883 le 1er président de la Société hippique percheronne- dans la résistance aux vues du Haras du Pin en matière d'élevage et de reproduction percheronne. "Entre l'apparition du chemin de fer et l'époque actuelle, s'est écoulé un certain nombre d'années qui resteront obscures dans l'histoire du cheval percheron. Les omnibus de Paris en ont employé un grand nombre, il est vrai ; l'industrie n'a jamais, il est vrai encore, cessé d'en demander, mais il est très probable que c'est pendant ce laps de temps que le cheval percheron s'est de plus en plus spécialisé comme cheval d'agriculture, acquérant peut-être de nouvelles qualités, mais perdant aussi de ses qualités anciennes, la légèreté, les allures, au bénéfice de la masse.
Il est dans le Perche de notoriété publique que la race percheronne a été pendant quelques années détériorée et compromise par des croisements peu judicieux de poulinières percheronnes avec des étalons de sang ou de demi-sang."

Michel Fardouet. (Coll. privée).

"Je constate encore, parmi les producteurs de chevaux percherons, un assez vif ressentiment contre les Haras de l'État qui firent vers 1830 ces essais bientôt abandonnés. "À cette époque, dit M. Fardouet dans un mémoire rédigé à propos du concours de Nogent-le-Rotrou en 1883, j'entendais dire à mon père, qui était éleveur, que les haras de l'État détérioraient la race percheronne par leurs chevaux de demi-sang au lieu de l'améliorer comme ils le prétendaient..., les éleveurs ont renoncé aux poulains, soi-disant améliorés, pour ne plus prendre que des poulains sortant de gros chevaux bien proportionnés et purs d'origine... Il est bien vrai qu'il était malheureusement resté longtemps une trace de ces croisements, surtout dans les contrées où les Haras ont le plus persisté... On peut dire hardiment que, si le cœur du Perche, c'est à dire les environs de Nogent-le-Rotrou, dans un périmètre de 30 à 40 km, a conservé le type le plus pur avec sa race de gros percherons, c'est grâce aux éleveurs et aux étalonniers du pays, tels que MM. Perriot père et grand-père, Ducœurjoly père, les Vineault, etc., etc., et en général tous les étalonniers des environs de Nogent". (M. Fardouet est trop modeste, il aurait dû commencer cette énumération par le nom de son père et son propre nom)."

4 commentaires:

Brigitte Guillaume a dit…

"Pour l'homme, le passé ressemble singulièrement à l'avenir. Lui raconter ce qui fut, n'est-ce-pas presque toujours lui dire ce qui sera ?" H. de Balzac.

Marcel Binet a dit…

Bonjour
Jean Léo j'aime bien lire tes articles sur l'histoire et les péripéties du cheval percheron suivant les humeurs des uns et des autres au cours de ces deux derniers siècles (ou presque),l'histoire est un éternel recommencement
Amicalement

JLD a dit…

Cher Marcel,
C'est un plaisir de te voir reprendre "la plume" pour commenter.
Sache que ces sujets "historiques" sont de loin ceux que je préfère partager avec tous ceux qui sont intéressés par la race percheronne.
Nous nous sommes engagés dans un travail de très longue haleine qui devrait nous permettre d'écrire dans les menus détails et avec quantité d'anecdotes et d'illustrations inconnues la grande et la petite histoire du cheval percheron. Pour vous faire patienter, nous vous livrerons de temps à autre quelques morceaux choisis.

Brigitte Guillaume a dit…

Dans un siècle ou deux, un émule de jean-Léo Dugast relatera encore sur la nouvelle blogosphère, la vie de la race percheronne, toujours existante.
D'autres morceaux choisis seront alors exposés sur la toile.
Pour la circonstance, une cotte de travail grise et verte, gagnée par Marcel Binet en personne, à la foire aux poulains et hongres de la Bazoche-Gouet, en 2015, sera retrouvée (du moins ce qu'il en reste) dans une vieille grange désaffectée d'Eure et loir, et exposée aux yeux de tous comme un véritable trésor inestimable.