mardi 26 mai 2015

"Vive Le Percheronne !"

Couverture du Breeder's Gazette du 29 janvier 1908. Archives Draft Horse Journal, Waverly, Iowa.

Comme l'hebdomadaire agricole Breeder's Gazette, ils étaient nombreux en 1908 dans le monde rural et en milieu urbain aux États-Unis à penser "Vive le Percheronne !".
De la 2nde moitié du 19ème siècle jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale, l'énergie percheronne supplante largement celle déployée par les races de trait britanniques (Shire, Clydesdale) et belges (trait belge). L'Amérique croît et se développe à la force tranquille des moteurs percherons.

Pour alimenter le Nouveau Monde en énergie animale, les éleveurs et marchands américains, qui ont découvert le Perche en 1872, effectuent d'incessants allers-retours entre la plus petite des provinces françaises et les vastes étendues du Middle West américain. Les villes de Nogent-le-Rotrou et de Chicago n'ont jamais été aussi proches. Les chevaux primés au Concours national de la race à Nogent-le-Rotrou, à Mortagne-au-Perche, à la Ferté-Bernard, à Mamers, à Alençon selon les années, sont le plus souvent achetés par les Américains et présentés en concours quelques semaines plus tard à Chicago.

C'est avec l'objectif de faire revivre par le texte et l'image cette fascinante épopée percheronne que je viens d'effectuer un voyage de quatre semaines aux États-Unis, à la recherche de tout élément susceptible d'aider à reconstituer le puzzle de la saga mondiale du cheval percheron. Ce voyage m'a permis de faire une riche moisson glanée en un temps assez court, dont je vous livre volontiers quelques fragments.

William Leonard Ellwood. Ellwood House Museum, DeKalb, Illinois.

Cet homme, William Leonard Ellwood, de DeKalb, petite ville de l'Illinois, a parcouru le Perche en tous sens dans les années 1880-1890. Il fut le principal concurrent d'un autre éleveur de l'Illinois, Mark Wentworth Dunham, dans la course aux plus beaux percherons. William L. Ellwood disposait de cinq fermes autour de DeKalb pour accueillir plusieurs centaines de percherons mâles et femelles offerts à la vente.

Connue pour son élevage de chevaux percherons et de demi-sang français, la famille Ellwood l'était surtout par le rôle joué par Isaac L. Ellwood -le père de William- qui, avec Joseph Glidden et Isaac Haish, a inventé le fil de fer barbelé. Une invention qui a rendu les trois hommes immensément riches en quelques années, entre 1875 et 1880. Avec un pays à clôturer, avec un réseau de chemin de fer en pleine expansion qu'il fallait protéger du bétail, le commerce du fil de fer barbelé s'est développé en un temps record, avec plusieurs usines de production établies dans la ville de DeKalb.
Une partie de l'argent gagné par la famille Ellwood grâce au fil barbelé a été consacrée à acheter de grandes étendues de terre au Texas. William -qui a effectué plus de 50 voyages dans le Perche pour y acheter des percherons- a d'abord mené de front les affaires percheronnes et la gestion des terres texanes qui ont compté jusqu'à 20000 têtes de bétail, parmi lesquelles 300 poulinières percheronnes. Mais, petit à petit, les affaires texanes ont pris le dessus et le nom de Ellwood a disparu de l'élevage percheron au tournant du 20ème siècle.

L'étalon percheron Chéri, peinture de Lou Burk, 1885. Ellwood House Museum, DeKalb, Illinois.

L'étalon Chéri (2423-5079) importé par William L. Ellwood en 1885 est né le 13 juin 1881 chez Célestin Caget dans l'Orne. Cet étalon a été pendant plusieurs années le chef de file incontesté de l'élevage Ellwood, comme Brilliant (755-1271) l'a été pour l'élevage de Mark W. Dunham, lui aussi établi dans l'Illinois et distant de seulement 45 km de son concurrent redouté, William L. Ellwood.
Chéri est un fils de Bayard par Duke de Chartres et de Mignonne par Coco 2. Au premier concours national de la race à Nogent-le-Rotrou en 1884, Chéri -qui comptait parmi ses principaux concurrents Champeaux à Louis Perriot, Lord Byron et Confident à Auguste Tacheau, Mouton à Ernest Perriot et Hercule à Charles Aveline, s'est classé 9ème dans la catégorie mâles de 3 ans.

Publicités des élevages Mark W. Dunham et William L. Ellwood dans le Breeder's Gazette du 2 septembre 1886. Archives Draft Horse Journal, Waverly, Iowa.

C'est à grand renfort de publicité dans les journaux, souvent en pleine page, que les éleveurs et marchands de chevaux de trait font la promotion de leurs élevages. Ces publicités sont constamment remises à jour pour tenir compte des nouveaux arrivages de chevaux, deux ou trois par an pour les plus gros importateurs.

On ne peut qu'être frappé par cette aptitude des éleveurs américains à faire la promotion de leurs élevages à grand renfort de publicités et en n'hésitant pas à faire des centaines, voire des milliers, de kilomètres en train avec leurs animaux pour les présenter sur les principales foires agricoles et cela, sans autre contrepartie que l'espoir de ventes futures. Il y a là un état d'esprit conquérant, résultat tangible de la vie de pionniers menée par ces Américains du Nouveau Monde.

Plaque en argent remise aux éleveurs lors du concours de Saint-Louis, Missouri, en 1904. Coll. Karen & David Armbrust, Wayne, Illinois.

Comme lors des Concours nationaux sur le territoire français, à l'occasion des principales foires agricoles -Chicago, Saint-Louis, New York-, les éleveurs primés se voient remettre plaques et médailles.
On peut s'attarder sur ce concours de Saint-Louis, 1904. En effet, monsieur Charles Aveline, de la Société hippique percheronne de France, était présent. Pour faire face à la défection de dernière minute pour raison de santé du professeur John A. Craig, juge unique du concours percheron, Charles Aveline a accepté de le remplacer, en compagnie de monsieur Noble King
Dans son compte-rendu fait pour la Société hippique percheronne, Charles Aveline précise que "la race percheronne est la plus prisée des races de trait par les industriels et les commerçants d'Amérique qui ont besoin de chevaux traînant des poids lourds à une allure assez vive...". Dans ce texte, Charles Aveline cite une brasserie qui emploie une cavalerie de 900 têtes.
À la lecture du palmarès de ce concours de Saint-louis 1904, on constate qu'une grande partie des chevaux primés appartenait à l'élevage McLaughlin de Columbus en Ohio. Dans la 1ère décennie du 20ème siècle, James B. McLaughlin a passé de longues périodes, parfois plusieurs mois par an, dans le Perche où il faisait partie du milieu percheron. Il n'était pas rare qu'il assiste aux réunions de la Société hippique percheronne, offrant le champagne à la fin des travaux.
Quelques premiers prix à ce concours de Saint-Louis 1904 :

  • Chevaux de 3 et 4 ans : Fronton, né chez M. Gouhier, La Ferme, Brunelles, Eure-et-Loir ; élevé chez Charles Aveline, Verrières, Orne.
  • Chevaux de 2 et 3 ans : Chichi, né chez M. Hamelin, Saint-Cyr-la-Rosière, Orne ; élevé chez Charles Aveline.
  • Juments de 4 ans et plus : Zaza, de l'élevage M. Gasselin, Laleu, Orne.
Chichi en France, âgé de deux ans. Coll. personnelle.


Trophée offert par la Société hippique percheronne de France à l'élevage Crouch, Lafayette, Indiana. Breeder's Gazette, archives Draft Horse Journal, Waverly, Iowa.

En 1911, la Société hippique percheronne de France, à l'instigation de l'éleveur américain James B. McLaughlin, a décidé de remettre un bronze à l'élevage qui présenterait la plus belle collection de 5 percherons importés, mâles ou femelles, lors du grand concours agricole de Chicago, Illinois.
Ce bronze de 56 cm a été réalisé par Henri Beauclair, vétérinaire à Cherré dans la Sarthe. Membre de la Société zoologique de France, Henri Beauclair est né en 1845 à Lombron, Sarthe, où son père était hongreur.
Le trophée Henri Beauclair a été remis à l'élevage Jeptha & George Crouch (père et fils), de Lafayette dans l'Indiana, pour une brochette percheronne composée de Imprécation, Idée Fausse, Inédit, Ismaël et Intelligent.

Breeder's Gazette du 3 avril 1912, publicité de l'élevage Crouch, Lafayette, Indiana. Archives Draft Horse Journal, Waverly, Iowa.

Dans cette publicité parue après le concours de Chicago 1911, l'élevage de Jeptha Crouch et son fils George met en haut de l'affiche son étalon Imprecation (79214-79304) récemment importé.

Acheteurs américains au Concours national percheron 1913 à Mamers, Sarthe. Breeder's Gazette, archives Draft Horse Journal, Waverly, Iowa.

Principalement concentrées sur le printemps et le début de l'été, les visites des acheteurs américains, au fur et à mesure que le commerce prenait de l'ampleur, se sont étalées sur une période qui allait parfois de février à octobre. Le Concours national de la race à Nogent-le-Rotrou en 1884 et 1886, puis en alternance à Mortagne-au-Perche et La Ferté-Bernard, puis aussi à Mamers et Alençon après 1900, a toujours été l'occasion d'une forte concentration d'acheteurs qui venaient parfois en famille comme le prouve cette photo prise à Mamers en 1913.
Au 1er rang, de gauche à droite : Mr. et Mme J.B. Hogate ; Mr. et Mme C.R. Kirk ; Mr. et Mme Omer Singmaster ; Charles O. Singmaster (assis dans l'herbe) ; James B. McLaughlin ; Mme L. Bell ; Mr. Vercheval ; Mr. Cl. Miteau.
Au 2nd rang : George Potts ; Mr. Pootman ; George Crouch ; Fred Holbert ; John Ashton (correspondant en France du Breeder's Gazette) ; Samuel Bell ; C. Chaboudie ; Archie Robison ; Mr. Porter ; G. Raffinstein ; Mr. Denys.
Au 3ème rang : C. Delbeck ; G. Beatrix ; Paul Chouanard (interprète).

Concours percheron dans l'Indiana dans les années 1920. Archives Percheron Horse Association of America, Fredericktown, Ohio.

L'étalon Koncarcalyps présenté par Mr. Jake Merz et Mme Dreyfus. Archives Percheron Horse Association of America, Fredericktown, Ohio.

Né aux États-Unis en 1922, l'étalon Koncarcalyps possède parmi ses ancêtres des noms célèbres : Calypso, Theudis, Carnot, Besigue, Brilliant III...

Verdaupremier et Mentor, étalons percherons de l'élevage Frank Iams, Saint-Paul, Nebraska, sur une publicité parue dans le Breeder's'Gazette. Archives Draft Horse Journal, Waverly, Iowa.

Frank Iams, personnage excentrique, aux pratiques publicitaires agressives, connu pour ses étalons percherons de robe noire, est venu au début du 20ème siècle, à plusieurs reprises, dans le Perche, s'approvisionner en "big black boys", en particulier au sein de l'élevage Chapelle.

Ces quelques fragments de vie percheronne ne représentent qu'une infime partie de l'iceberg enfoui depuis près d'un siècle des deux côtés de l'océan Atlantique. Depuis plusieurs mois, nous avons entrepris de faire revivre ce passé percheron oublié.
Peut-être possédez-vous ou savez-vous où se trouve une pièce, petite ou grande, de ce puzzle, une photo, une médaille, un texte, un document administratif, une anecdote transmise oralement de génération en génération ? N'hésitez pas à nous contacter pour nous en faire part.
Téléphone : 02.43.97.97.03. Mail : jeanleo.dugast@wanadoo.fr

Un grand merci à tous ceux qui, aux États-Unis, m'ont ouvert en grand les portes de leurs archives : l'Association percheronne américaine (Percheron Horse Association of America) ; le Draft Horse Journal ; Ellwood House Museum ; Dunham Country Club Karen & David Armbrust, ainsi que de nombreuses bibliothèques municipales ou universitaires à travers le pays.

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