L'histoire du cheval percheron se niche parfois dans les détails. Des détails en forme d'en-têtes de papier à lettres par exemple.
Ces quelques documents des années 1906-1907, sérieusement rajeunis, nous livrent un éclairage particulier sur la vie de tous ceux qui ont fait le cheval percheron.
De la fin du 18ème siècle jusqu'à nos jours, ce sont six générations de Chouanard (parfois orthographié Choisnard) qui ont contribué à l'élevage et à la renommée du cheval percheron. Au milieu du 19ème siècle, les deux frères Louis Marin Choisnard, "le Chouanard de Champeaux", et Joaquim Joseph Sébastien Chouanard, "le Chouanard de la Touche", sont déjà pleinement investis dans l'élevage du cheval percheron.
Émile Chouanard, petit-fils de Louis Marin, s'installe à la Bretonnerie à Masles en 1881. Comme de nombreux autres membres de la famille Chouanard, il prend sa retraite à Nogent-le-Rotrou tout en poursuivant quelques activités percheronnes.
Avant la découverte du Perche par les Américains entre 1872 et 1875, le commerce percheron était presque exclusivement européen. Du début des années 1870 jusqu'en 1892, ce sont les États-Unis qui accaparent le marché du cheval percheron. les exportations vers ce pays atteignent alors des proportions énormes, avec des chevaux qui traversent l'Atlantique par milliers.
De 1893 à 1897, le commerce avec l'Amérique s'interrompt totalement à cause d'une crise économique qui frappe les États-Unis. La SHPF est à deux doigts de disparaître. Puis le commerce reprend à plein au début des années 1900, mais cette fois avec une dimension nettement plus internationale, et des exportations en nombre vers l'Amérique du Nord et du Sud.
Un tel niveau de commerce nécessite évidemment un grand nombre d'intermédiaires, interprètes, marchands, agents de toutes sortes. Parmi ces agents, l'Anglais Gerald Powell installé un temps à Lille et engagé de longue date dans le commerce des chevaux, en particulier les chevaux percherons, ardennais et belges. Gerald Powell a effectué de nombreux voyages d'affaires dans le Perche.
En 1909, Gerald Powell s'installe avec sa famille à Nogent-le-Rotrou où il demeure jusqu'à la Première Guerre mondiale. À titre d'exemple, en 1909 plus de 300 chevaux percherons sont passés entre les mains de Gerald Powell à destination des États-Unis et du Canada.
Fils de Louis Perriot qui fut le second président de la SHPF de 1896 à 1904, Edmond Perriot a succédé à son père à la ferme manoir de Champeaux à Margon, qu'il cède à son tour à son fils Charles pour s'installer à la Ronce sur la commune de Masles. Edmond Perriot est devenu président de la SHPF en 1928. Mais sa présidence a malheureusement été de courte durée puisqu'il est décédé subitement en cette année 1928.
Edmond Perriot a été, tout comme son oncle Ernest Perriot de la Chenellière à Nogent-le-Rotrou, l'un des plus importants éleveurs de chevaux percherons de tous les temps. Ce qui a fait dire à John Ashton, correspondant permanent en France du journal agricole américain Breeder's Gazette : "Edmond Perriot, un autre prince des éleveurs percherons...".
Parmi les très nombreux intermédiaires et agents travaillant au service des exportations percheronnes, Charles Chaboudez, hôtelier et agent "près les Chemins de Fer du Nord et de l'Est", a été dans cette période du début du 20ème siècle l'un des plus actifs, comme en témoignent les très nombreux courriers adressés à la SHPF. Pour tous ces agents, l'une des gageures du métier était de s'assurer que tous les papiers relatifs à l'origine des chevaux soient bien prêts en temps et en heure. Le secrétaire de la SHPF de l'époque consacrait apparemment une grande partie de son temps à rassembler puis transmettre tous ces documents qui devaient être produits à l'embarquement au Havre ou parfois, à partir des années 1900, à Anvers.
Le nom de Fardouet est, au même titre que ceux de Chouanard, Perriot, Aveline, Tacheau, associé à l'expansion internationale du cheval percheron. Le premier Fardouet à inscrire son nom en lettres majuscules dans les registres percherons, c'est Michel Grégoire. L'éleveur et étalonnier de la Beuvrière à Verrières a été, de 1883 à 1896, le 1er président de la SHP. C'est de cet élevage Fardouet qu'est issu l'un des plus célèbre percherons exportés aux États-Unis, Vidocq 483. Autre fait d'armes de l'élevage Michel Fardouet, le 1er prix de l'étalon Malakoff, solide percheron de 1200 kilos, au concours de Bruxelles en 1888.
Le fils de Michel Fardouet, Alphonse Grégoire né en juin 1843, connaîtra lui aussi une brillante carrière percheronne qui en fera au tournant du 20ème siècle sur sa ferme manoir Le Bois-Joly à Margon, l'un des étalonniers les plus importants de l'époque.
L'une des conséquences de la crise économique et financière qui a frappé les États-Unis entre 1893 et 1898 a été la disparition quasi totale de l'Association percheronne américaine. Le mobilier, tables et chaises, et même... le stud-book percheron ont été vendus pour quelques dollars. À la reprise du début des années 1900, l'Association percheronne connaît de très sérieuses difficultés pour se remettre en activité et pour retrouver la gestion de son stud-book parti dans des mains privées. Pendant les quelques années où la bataille judiciaire fait rage et avant que tout ne rentre dans l'ordre, les éleveurs américains ont le choix entre cinq stud-books percherons pour inscrire leurs chevaux. L'un de ces stud-books est The Percheron Registry Company créé dans l'Ohio par les frères McLaughlin. James McLaughlin, aux alentours des années 1900, est alors le plus important importateurs de chevaux percherons, et il passe chaque année plusieurs semaines, voire plusieurs mois, à visiter les élevages du Perche.
En 1866, Charles du Haÿs cite dans un de ses ouvrages la commune de la Mesnière près du Mêle-sur-Sarthe dans l'orne, passée entièrement au cheval percheron.
"La commune de la Mesnière, malgré l'excellence de ses herbages, [...] ne s'occupe plus en aucune façon du cheval de demi-sang. Elle est nettement entrée dans la voie du cheval percheron. À Puisaye ; à Villependue, chez M. Dujarrier ; aux Joncherets, chez M. Dujarrier, frère du précédent ; à la Coudrelle, chez M. Avignon ; à Condé, chez M. Ollivier ; chez M. Bignon, etc., on ne voit que des percherons, mais on les y fait excellents. Exempts de tout mélange avec le demi-sang, ils sont 'sui generis' [propres à une espèce], bien réussis, n'offrant nulle part ce décousu inhérent aux produits de deux races trop éloignées l'une de l'autre pour pouvoir être assimilables".
Le nom de Tacheau est étroitement lié aux premières exportations percheronnes vers les États-Unis. Tous les plus importants éleveurs américains qui ont visité le Perche, comme Isaiah Dillon, Mark W. Dunham, William L. Ellwood, ont foulé à maintes reprises les prairies de la Pellois à Saint-Martin-des-Monts près de la Ferté-Bernard dans la Sarthe.
Parmi les chevaux d'exception sortis de l'élevage Tacheau, on peut citer French Monarch 734 qui a fait la monte autour de la Ferté-Bernard de 1868 à 1874 et qui a ensuite été vendu à S.S. Waterbury & A.W. Cook, de l'Iowa. Séducteur 7057, autre percheron de renom, provient lui aussi de l'écurie Tacheau. Il a été importé aux États-Unis par William L. Ellwood de Ellwood Green en Illinois.
L'élevage Tacheau a été créé en 1848 et dirigé jusqu'en 1871 par Auguste Alexandre Tacheau né en 1825. De 1871 à 1897, c'est son fils Auguste Denis Tacheau qui tient les rênes de l'élevage. Il décède à Cannes en 1906. Auguste Jules Tacheau succède à son père et gère le domaine familial de la Pellois et du Buron, d'une superficie de 350 ha au bord de l'Huisne, avec son gendre Marius Chapelle.
Dans les années 1900-1910, les courriers de Joseph Raffestin à destination de la SHPF sont légion. À la fois éleveur de percherons à Bonneval en Eure-et-Loir et marchand de chevaux établi à Paris 85 rue Denfert-Rochereau dans le 4ème arrondissement, la maison Raffestin, qui a pris la succession de la maison Rivière, brasse chaque année un important commerce avec les acheteurs américains. Dans ces années-là, Joseph Raffestin travaille très régulièrement avec James McLaughlin et aussi avec les acheteurs de la firme Dunham, Fletcher & Coleman qui assure la succession de Oaklawn Farm à Wayne en Illinois après le décès de Mark W. Dunham en 1899.
Étalonnier à la ferme d'Amilly à Condeau, Auguste Haye nous fait replonger dans l'histoire de la famille Perriot. La ferme d'Amilly, c'est la demeure de "l'aîné des Perriot", François Louis Joseph, né en 1810 et décédé en 1874, qui connaîtra ses premiers succès percherons avec l'étalon Favori 1er.
François Perriot et sa femme Amélie Viandier ont trois fils : Louis, Ernest et Albert. Louis devient "le Perriot de Champeaux", Ernest "le Perriot de la Chenellière", et Albert"le Perriot d'Amilly" puisqu'il reste avec sa femme Athalie Saintu sur la ferme familiale. La ferme d'Amilly devient très vite un lieu emblématique de l'élevage percheron dans les yeux des acheteurs américains. Pour Mark W. Dunham qui lui acheta plusieurs étalons, Albert Perriot était le plus talentueux des trois frères : "Quand ils partaient ensemble acheter des poulains, au bout du compte c'était toujours Albert qui avait les meilleurs".
Malheureusement, en 1879, Albert décède prématurément, à l'âge de 30 ans. Mais sa veuve, qui n'a que 21 ans, décide de poursuivre l'élevage et le commerce percheron. Connue dans les années suivantes comme "la veuve Perriot", elle épouse Louis Gautier. Le couple poursuit l'élevage et l'étalonnage percheron.
Un Américain, Samuel D. Thompson, fréquent visiteur du Perche, évoque dans un article du Breeder's Gazette la ferme d'Amilly : "Nous nous rendons tout près de là, à Amilly, et ici nous aurions très bien pu renvoyer notre cheval car M. Gautier n'a jamais permis à un visiteur de s'en aller sans avoir reçu l'hospitalité. Amilly est la ferme où vécut et mourut Albert Perriot. Pendant plusieurs années après sa mort, sa veuve dirigea la ferme, et quelques-uns des plus anciens acheteurs américains se souviennent bien de "la veuve Perriot", car à la mort de son mari elle ne voulut pas laisser péricliter le commerce des chevaux".
Mais en 1894, Athalie connaît le veuvage pour la seconde fois. En 1895, celle qui fut "la veuve Perriot" épouse Auguste Haye qui, lui aussi, se consacre à la race percheronne sur les terres d'Amilly.
En-têtes de papier à lettres : archives Société hippique percheronne de France.
1 commentaire:
À cette époque, les En-Têtes et les formules de politesse faisaient l'admiration de tous... Aujourd'hui, pour se distinguer, il faut envoyer des Tweets plus ou moins "éclairés"... Deux façons bien différentes de se mettre en pleine lumière.
Enregistrer un commentaire