mardi 20 janvier 2015

Réflexions Percheronnes, Suite

La jument Surannée, championne 1923, en couverture de L'Agriculture nouvelle.

Du début du 20ème siècle à la Seconde Guerre mondiale, le cheval percheron va vivre sa période la plus calme en matière de modèle et de morphologie. S'il se désengage à grande vitesse du transport de personnes et de marchandises, le cheval de trait s'impose partout comme moteur agricole. Des deux côtés de l'océan Atlantique. La mécanisation de l'agriculture, lourde, en particulier dans les grandes plaines du Middle West américain impose un moteur puissant. Le cheval percheron, musculeux, en rondeur, s'acquitte avec abnégation de sa tâche tout en se découvrant de nouveaux marchés à l'échelle planétaire.
Sur une période aussi longue, il y a eu cependant quelques évolutions sensibles, en particulier aux États-Unis, avec -à partir de 1920- un retour à un percheron de plus petite taille et moins en rondeur. Ce mouvement s'explique par la disparition à cette période du hongre percheron de grande taille et lourd remplacé par le moteur dans les rues des grandes villes où il était occupé au camionnage des marchandises.

L'étalon March Viking, champion Royaume-Uni en 1935, 1936 et 1937.

Beau Calypse, percheron américain envoyé en France en 1947 chez Paul Leveau dans l'Orne au titre de l'aide à la reconstruction.

Passé le cap des années 1950, le moteur à explosion -dont la principale traduction agricole est le tracteur- chasse le cheval de trait du monde paysan. Si la mécanisation de l'agriculture a marqué l'apogée du cheval de trait, sa motorisation a bien failli sceller sa disparition. La situation est tout aussi dramatique du côté américain de l'Atlantique où, en 1955, la race percheronne n'enregistre officiellement que 85 naissances. Les communautés amish sont à peu près les seules à conserver des chevaux de trait utilisés régulièrement dans les activités agricoles. Ce sont d'ailleurs quelques souches percheronnes conservées par ces Amish qui permettent à la race d'entamer son retour au début des années 1970.

Attelée à six percherons de front chez les Amish dans le Michigan en 2012.

Du côté français, le cheval percheron voit son horizon se rétrécir dangereusement. Seule planche de salut pour lui, l'étal du boucher, avec une conséquence évidente sur le modèle percheron qui prend des proportions jamais atteintes. Modèle unique, le gros percheron perd sa vocation de cheval de trait pour n'être plus qu'un animal de boucherie.

L'étalon Sergent, fin des années 1980.

L'étalon Albatros, champion de la race en 1991.

C'est au début des années 1990 que l'on commence à évoquer le retour du cheval percheron. En parlant de retour, on parle du percheron de travail, celui qui tirait "vite et lourd". Le Congrès mondial de 1989 au Haras du Pin officialise d'une certaine manière cette renaissance percheronne. Mais alourdi à l'excès, manquant d'allure et de fond, le cheval percheron n'est plus que l'ombre de ce qu'il était quelques décennies auparavant. Les années de 1990 à 2010 sont consacrées à rendre opérationnel un percheron qui semble pouvoir retrouver une occupation dans les activités de loisir et d'une manière plus modeste dans des secteurs très ciblés de l'agriculture et de la forêt.

La naissance officielle en 1996 de deux modèles percherons, le trait et le diligencier plus léger, doit répondre à ces nouvelles utilisations qui se font jour. Pour gagner du temps dans cette opération d'allègement, la SHPF -avec le Haras national du Pin- choisit de faire appel au sang percheron américain sous la forme d'étalons de grande taille et légers. L'allègement de la race ne se fait pas sans grincements de dents mais vingt ans après l'arrivée de Silver Shadows Sheik sur le sol français, on peut constater que le percheron a retrouvé un modèle un peu plus en adéquation avec ses nouvelles occupations.

Produit de l'étalon percheron Pleasant View King, à Mount Hope dans l'Ohio en 2014.

Il convient aussi d'évoquer le chemin particulier suivi par les éleveurs américains depuis 1970. En matière de chevaux de trait, ils se sont orientés à cette époque vers un modèle économique très singulier, celui de l'attelage dit "de prestige". Pour cela, ils développent un percheron très allégé, qui n'en finit pas de prendre de la hauteur.
En passant, arrêtons de dire -en parlant de l'arrivée des étalons américains sur le sol français- que les Américains avaient conservé un percheron léger... les Américains n'ont rien conservé du tout. Les Silver Shadows Sheik, Storey Creek Knight Cruiser et Hannah Hill Kemo Sabe n'avaient rien à voir avec les étalons américains des années 1920-1930. En revanche, ce qui doit être pris en compte c'est que les Américains ne sont jamais passés par la case boucherie pour leurs chevaux de trait, et donc que le cheval percheron américain n'a jamais eu à subir ce fort alourdissement du modèle qu'a connu le percheron français dans les années 1960-1980.

Rencontre particulièrement rare, en 2012 dans le Michigan, avec une jument percheronne de type trait.

L'évolution suivie par le percheron américain depuis les années 1970 correspond à une utilisation de type spectacle. Abandonné le percheron "trottant vite et tirant lourd" au profit du percheron piaffant haut et tirant léger. C'est d'ailleurs la première fois de son histoire, si l'on exclut la période boucherie, en France que le percheron s'aventure d'une manière aussi systématique sur un autre terrain que celui du cheval utilitaire de traction. 

Quel peut être l'avenir d'un percheron au modèle dont les caractéristiques confinent à l'excès,  qui tend à devenir unique dans tout le pays même chez les Amish et dont l'utilisation -attelage de prestige- ne correspond à aucune nécessité, mais qui  garde cependant une forte valeur culturelle ? Argument de poids en faveur de ce percheron de prestige, cette activité -dans le contexte sociétal actuel en Amérique du Nord- brasse en dollars des sommes qui peuvent faire rêver les éleveurs et utilisateurs français.

Notre Dame de Prainville, jument diligencière, en 2011.

Una des Prés, jument diligencière, en épreuve d'utilisation lors du National percheron en 2014.

Revenons maintenant à la question posée en préambule de ces deux sujets sur le modèle percheron. "Existe-t-il ou a-t-il existé un modèle de percheron que l'on puisse désigner comme étant LE cheval percheron ?"

L'étalon Alibaba du Bourguerin, champion trait au National percheron 2014.

La diversité des modèles rencontrés au cours de l'histoire moderne et contemporaine du cheval percheron oblige à répondre à cette question par la négative.
On peut cependant laisser le mot de la fin à un éminent spécialiste de la race, Louis Aveline, président de la SHPF de 1928 à 1946, qui s'adresse ainsi à l'Office français de l'Élevage : "Le type percheron n'a jamais été profondément modifié. Les besoins et surtout les débouchés ont poussé l'éleveur, depuis un siècle, à modifier non pas le type mais seulement la grosseur et le poids du percheron... Notre percheron est élégant dans sa forme et souple dans son énergie. Comme caractères, outre l'intelligence, il a le calme et la douceur. Il est le produit séculaire, presque millénaire, de son sol. Les vrais percherons sont nés dans le Perche".

7 commentaires:

Brigitte Guillaume a dit…

Et demain ?
Espérons vivement que pour les siècles à venir, l'évolution du Cheval Percheron ne se fera pas sans queue ni tête...

Simonetta a dit…

articolo molto,molto interessante, grazie Jean Léo

Anonyme a dit…

Belle dissertation ! Gros travail de recherches et bien écrit. Bravo

La réflexion oui mais à un moment donné il faut passer à l'action ! Qu'est-ce qu'on fait CONCRETEMENT ?

Le modèle lourd n'a plus d'avenir sauf pour un petit débouché en débardage. Il semble y avoir une demande en diligencier, laquelle demande peut s'accentuer en créant un/des besoin(s) (territoriaux, loisirs, compétition, tourisme....)
Percheronnement
Christophe Bordez

LICHTFUS, thierry a dit…

Le percheron diligencier est inconnu ou presque aux yeux des amateurs de chevaux. Comme je l'ai suggéré n'hésitez pas à vous déplacer pour en faire la promotion(voir mon mes d'hier)Possédant un seul percheron (diligencier) ce cheval étonne beaucoup de gens car méconnu. La majorité du monde équestre pense que le percheron est un cheval pesant la tonne ou plus...

Jean a dit…

Bonjour à toutes et à tous.
Ma modeste contribution à la pérennité de la race, a été d'acquérir une pouliche percheronne que je vais mettre, progressivement, au travail dès les jours meilleurs.
Ceci est d'autant plus difficile pour moi, que je ne suis ni du monde agricole, ni celui de l'élevage.
Mais je compte sur les personnes du monde "percheron" pour me prodiguer de précieux conseils.
Bien cordialement et bientôt...
Jean

JLD a dit…

Bonjour Jean,
Bienvenue dans la famille percheronne.
Dans quel département ou région êtes-vous ?
Pour obtenir des conseils, vous pourriez peut-être prendre contact avec le Syndicat percheron de votre département ou de votre région, ou avec la Société hippique percheronne.
Tenez-nous au courant.
Vous pouvez même nous envoyer des photos de votre pouliche !

Jean a dit…

Bonjour à toutes et à tous,
Je demeure dans l'Orne à Survie et vais dès demain me rapprocher du SHPF afin de prendre les dispositions qui s'imposent.
Je ne manquerai pas de vous faire partager mes aventures et ferai en sorte de publier quelques photos de mon fier destrier!
Bien cordialement et à bientôt...
Jean